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Petit Pays, Gaël Faye

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Avant de commencer cet article, j'aimerais revenir sur le génocide Rwandais du 7 avril 1994.
Tout commence suite à l'attentat contre l'avion du Président Rwandais, le 6 avril 1994. Ses fidèles, les Hutus, décident alors du massacre de la population Tutsie. Un conflit sans merci est alors engagé entre les Hutus et les Tutsis, conflit s'exportant jusque dans les pays voisins.
Toutefois, si nous regardons plus loin dans l'Histoire du Rwanda, nous pouvons constater que ce conflit ethnique était à la base un conflit social. En outre, la population appartient à la même tribu mais elle est découpée en trois groupes :

  • les éleveurs de bétail ou les Tutsis
  • les agriculteurs ou les Hutus
  • les domestiques, les ouvriers ou les Twas.

Ainsi, la différenciation est la base sociale et non ethnique. Cependant, lorsque les colons Belges, soutenus par les Tutsis, étaient encore présents sur les terres rwandaises, la demande d'indépendance des Tutsis pousse les colons à se ranger du côté des Hutus. Ainsi, forts de ce nouveau soutien, les Hutus vont forger un mythe selon lequel les Tutsis seraient des intrus venus de la région du Nil. Les Tutsis sont contraints de fuir.
Le 1er Novembre 1959 survient la "Toussaint Rwandaise". Des milliers de rwandais sont massacrés, des milliers de réfugiés Tutsis se présentent aux frontières des pays voisins.
La suprématie des Tutsis au Rwanda est alors finie. Cet évènement explique la majorité Hutus au moment de l'attentat de 1994.

Suite à l'accord de paix signé le 4 avril 1994 entre les Hutus du Président Habyarimana (appuyé par François Mitterand) et les Tutsis de Paul Kagamé, des tensions se font sentir, notamment en raison du manque d'unanimité concernant cette paix. S'ensuit alors l'attentat du 6 avril 1994.
Ainsi, les Hutus mettent à exécution un plan ayant pour finalité l'extermination des Tutsis. Les Casques Bleus de l'ONU, voyant le conflit éclater, s'en vont, laissant ainsi des milliers d'innocents livrés à eux-mêmes.
Le 4 juillet 1994, les Tutsis du Front Patriotique Rwandais, dont fait partie un des oncles de Gaby (héros du roman), font leur entrée dans Kagali, capitale du Rwanda. Il est déploré le massacre de plus de 800 000 personnes, enfants, femmes, vieillards Tutsis et Hutus.

 

Maintenant que le contexte a été posé, nous pouvons passer au décryptage du roman Petit Pays.
Gaby est un jeune vivant au Burundi avec sa famille. Son père est un français et sa mère est rwandaise. Cette dernière est une réfugiée suite au conflit qui exploté à la fin des années 50 au Rwanda. Cette famille vit à Bujumbura dans un quartier aisé. Gaby nous conte ainsi cette période traumatisante à travers son regard d'enfant.
Ainsi, l'innoncence de Gaby et de sa soeur, Ana, contraste avec la gravité de la situation, que ce soit au Rwanda ou au Burundi. Après les explications données par leur père, la raison à l'origine du conflit est transformé en jeu par les enfants. Cette innocence et le jeu inventé par les enfants montrent l'absurdité de la guerre, "La discussion s'était arrêtée là. C'était quand même étrange cette affaire. Je crois que Papa non plus n'y comprenait pas grand-chose. [...] Quand on faisait des courses dans le centre-ville, avec ma petite soeur Ana, on essayait discrètement de deviner qui était Hutu ou Tutsi".

Toutefois, l'innocence des enfants commençait à être rongée par cette mortelle différenciation. Les enfants sont alors poussés à se juger et éprouver des sentiments jusqu'alors inconnus, telles que la peur, la haine, l'envie de vengeance, "Cette étrange atmosphère enflait de jour en jour. Même à l'école, les copains commençaient à se chamailler à tout bout de champ en se traitant de Hutu ou de Tutsi. [...] Le fond de l'air avait changé. Peu importe le nez qu'on avait, on pouvait le sentir.".

Gaby et ses amis, rencontrés dans son quartier, forment une bande, les Kinanira Boyz. Cette idée de bande vient de Gino. Ce dernier est toujours à la recherche d'une quête, d'un ennemi, comme s'il devait prouver sa force pour démontrer son existence. Gino poursuit son désir d'exister parmi les forts jusqu'à participer activement aux exécutions commisent dans le pays.

A travers le personnage de Gino, les changements auxquels il fait face, montre à quel point la guerre ravage les Hommes. La haine, l'envie de massacrer tout ce qui est vivant et les personnes pouvant être des ennemis poussent les Hommes à commettre l'impossible, "Je voyais l'image paisible de Papa et Ana allongés sur le lit. L'image de leur innocence, de toutes les innocences de ce monde qui se débattaient à marcher au bord des gouffres. Et j'avais pitié pour elles, pour moi, pour la pureté gâchée par la peur dévorante qui transforme tout en méchanceté, en haine, en mort. En lave. L'homme dans le taxi était un cheval presque mort. S'il n'existe pas de sanctuaire sur terre, y en a-t-il ailleurs ?".

En plus de transformer toute réflexion en haine, ces massacres traumatisent les Hommes, ils sont hantés par des images qu'ils ne pourront jamais effacer. Ainsi, la mère de Gaby part à la recherche de sa famille restée au Rwanda une fois que le conflit a éclaté. Lorsqu'elle revient, Gaby ne la reconnait pas, comme si elle était morte. Les seules lueurs de vie sont dramatiques et traumatisantes pour les enfants. Leur mère est une autre victime du conflit, "Je n'aurais jamais dû rentrer dans ces maisons. Il y a des choses que l'on ne devrait jamais voir dans une vie. Je grattais le sol avec mes ongles, mais leur peau et leur sang avaient pénétré le ciment. J'avais leur odeur sur moi. Cette odeur qui ne me quittera plus. Tu comprends, ma puce, une Maman ne peut pas voir le sang de ses enfants dans sa maison. [...] Et Maman, penchée au-dessus d'Ana, continuait de raconter cette effroyable histoire dans un long chuchotement haletant.".

Ce récit nous est conté par Gaby devenu adulte. Il se rémérore ces évènements à l'occasion de son retour au pays afin de récupérer une part d'héritage lui étant dûe. Il vit aujourd'hui à Paris, loin de chez lui. Malgré cette enfance traumatisante, il ne cesse de regretter son pays d'enfance, "Je n'habite nulle part. Habiter signifie se fondre charnellement dans la topographie d'un lieu, l'anfractuosité d'un environnement. Ici, rien de tout ça. Je ne fais que passer. Je loge. Je crèche. Je squatte.". 
Ce retour, il l'attend depuis des années, rien ne semble l'empêcher d'y songer, y compris la méfiance de sa soeur vis-à-vis de ce "pays maudit", "Il m'obsède, ce retour. Pas un jour sans que le pays ne se rappelle à moi. Un bruit furtif, une odeur diffuse, une lumière d'après-midi, un geste, un silence parfois, suffisent à réveiller le souvenir de l'enfance.".

A la fin de ma lecture, j'étais toute retournée, cette lecture m'a ouvert les yeux sur une période de l'Histoire peu évoquée. C'est pourquoi j'ai décidé de faire quelques recherches afin d'éclaircir ma lecture et de comprendre le contexte avec précision.
Ce roman est écrit de telle manière qu'il est impossible de ne pas s'attacher aux personnages, de ne pas avoir peur avec eux. Par ailleurs, il est facile de s'imaginer les atrocités commises, les sentiments, les descriptions sont brèves mais très précises, et percutantes.

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