Chanson Douce, Leïla Slimani

"Le bébé est mort"

Myriam vient de finir ses études de droit, elle a accompli sa destinée, devenir avocate à l'ordre du barreaux de Paris. Paul, passionné de musique, s'épuise au travail afin d'atteindre son rêve ultime, ce qu'il finit par toucher du bout des doigts. Ces deux êtres forment un couple moderne, très ancré dans le monde contemporain. Lors de sa première grossesse, Myriam a mis de côté sa carrière afin de se concentrer sur la vie de famille qu'elle et Paul construisent. L'épanouissement, dans lequel Myriam se lovait parfaitement dans les débuts, s'évanouit progressivement pour laisser place à un ennui se transformant en honte. Myriam ne supporte plus cette vie de femme au foyer ayant sacrifié sa carrière au profit d'une vie dans laquelle elle ne se reconnaît plus, "Elle avait toujours refusé que ses enfants soient une entrave à sa réussite, à sa liberté. Comme une ancre qui entraîne vers le fond. Cette prise de conscience l'a plongée au début dans une profonde tristesse.Elle s'était rendue compte qu'elle ne pourrait plus jamais vivre sans avoir le sentiment d'être imcomplète, de sacrifier un pan de sa vie au profit d'un autre."

Un jour, une opportunité inespérée se présente à Myriam, celle d'intégrer un cabinet d'avocats. Les discussions s'enchaînent alors au sein du couple, des listes de pours et de contres se dressent, le pour l'emporte et les rendez-vous avec de potentielles nounous se succèdent. "Puis Louise est arrivée. Quand elle raconte ce premier entretien, Myriam adore dire que ce fut une évidence. Comme un coup de foudre amoureux. Elle insiste surtout sur la façon dont sa fille s'est comportée. "C'est elle qui l'a choisie", aime-t-elle à préciser.". Mila et Adam sont l'objet du défilé de nounous. Il est effectivement important pour les parents de savoir si la personne en qui ils confient leurs enfants peut créer une complicité unique avec les enfants.
Pour les lecteurs attentifs, un indice sur Louise est laissé dès son introduction dans la famille, "Paul et Myriam sont séduits par Louise, par ses traits lisses, son sourire franc, ses lèvres qui ne tremblent pas. Elle semble imperturbable. Son visage est comme une mer paisible, dont personne ne pourrait soupçonner les abysses".

Toute l'histoire commence à l'arrivée de Louise. Dès ses débuts, Louise réussit à devenir indispensable, Paul et Myriam ne peuvent se passer d'elle. ""Ma nounou est une fée." C'est que dit Myriam quand elle raconte l'irruption de Louise dans leur quotidien. [...]Le soir, quand Myriam rentre chez elle, elle trouve le dîner prêt. Les enfants sont calmes et peignés. Louise suscite et comble les fantasmes de famille idéale que Myriam a honte de nourrir.". Louise est devenue une mère de substitution pour Mila et Adam, leurs parents l'ont très bien compris. Elle est un sujet de discussion inévitable lors de réunion d'amis, tout l'entourage de Paul et Myriam la connait d'une façon ou d'une autre. Ce sentiment d'être nécessaire remplit Louise de pensées perverses. Elle ne se met qu'à penser à son futur, elle fait tout pour rester dans cette famille qui l'idolâtre. Mais son passé la poursuit, elle ne peut y échapper. Plus on avance, plus son passé se révèle être sombre. Son mari n'en a que faire de son existence, à sa mort, il lui laisse un nombre incalculable de dettes. Sa fille, Stéphanie, a disparu dès qu'elle a pu. Elle était tout le contraire de sa mère, son caractère exhubérant, ses imperfections, son insolence, son arrogance poussent Louise à commettre l'inévitable, "Elle a ouvert le portail de l'entrée et à peine l'a-t-elle eu refermé derrière elles qu'elle s'est mise à rouer Stéphanie de coups. Elle l'a frappée sur le dos d'abord, de grands coups de poing qui ont projeté sa fille à terre. L'adolescente, recroquevillée, criait. Louise continuait de frapper. Toute sa force colosse s'est déployée et ses mains minuscules couvraient le visage de Stéphanie de gifles cinglantes.".
La véritable nature de Louise est tout le contraire de ce qu'elle fait transparaître. Elle réussit à duper les personnes qui la fréquentent grâce à son apparence, ses manières. Rien ne semble l'atteindre, la nounou reste impassible aux crises des enfants, jusqu'au moment où le drame se produit. La scène de crime ne correspond en rien aux habitudes de Louise, l'appartement est méconnaissable, tout révèle l'identité réelle de Louise.

La nounou dépeinte est une nounou profondément blessée, il ne lui reste rien dans sa vie, elle n'a que les enfants comme consolation. Mais plus nous avançons dans notre lecture, plus nous découvrons une nounou perverse, capable d'une violence sourde et profonde, pouvant aller très loin.
Une des scènes les plus marquantes pourrait être celle de la carcasse de poulet laissée sur la table de la cuisine. Louise s'adonne à un jeu d'esprit, psychologique avec Myriam. Elle veut montrer que c'est elle qui a les cartes en main, rien ne lui échappe. Louise entre dans la tête de Myriam. Cette dernière ne peut s'empêcher de penser à ce que pourrait faire Louise, elle envisage le pire tout en espérant que le pire soit passé.

Ce livre est d'une profondeur rarement lue. L'auteure a su capter l'attention du lecteur en nous présentant des personnages absorbés par un seul protagoniste. Le lecteur se laisse charmer par cette femme amoureuse de son métier, elle est touchante à ses débuts. Mais le lecteur ne peut que rester sous le choc en découvrant petit à petit le visage caché derrière le masque de la perfection porté par Louise, une tout autre personne fait irruption dans le roman.