L'étrange, Jérôme Ruillier
"On ne nous demandait plus d'avoir un comportement de policier, mais un comportement de commercial, à savoir qu'on nous demandait d'interpeller tout et n'importe quoi. On nous harcelait pour obtenir nos quotas d'expulsions, on arrêtait des personnes parce qu'elles avaient le tort de se trouver dans des endroits fréquentés par des étranges. Il y avait trio d'étranges dans la cité. Qui décidait que c'était trop ? Par rapport à quels critères ? J'en avais vraiment marre." Major de la Police, Page 61 - 63
Tel Art Spiegelman, Jérôme Ruillier utilise le procédé de l'anthropomorphisme, les personnages sont des animaux, les héros sont des animaux animés par la paroles et les gestes des êtres humains. L'utilisation de ce procédé permet de simplifier un sujet d'actualité brûlant, à savoir la clandestinité et la place des migrants, réfugiés au sein de notre société.
Nous suivons le parcours d'un ours exilé, qui a fui son pays. Mais une fois arrivé sur sa terre d'accueil, il est perdu, la barrière de la langue est un premier obstacle. Puis s'ajoutent à cela, les malversations à son égard, les humiliations, les rejets.
L'auteur a choisi d'utiliser le terme d'étrange et non d'étranger. Pourquoi ? Ainsi, la nationalité, ses origines n'ont pas d'importances. Avec le "étrange", l'auteur fait référence aux modes de vie sensiblement différents, à la culture, aux habitudes.
L'auteur ne s'est pas focalisé sur le point de vue du personnage principal, qui n'est autre qu'un ours au regard triste et malheureux. En effet, chaque chapitre représente une vision de différents personnages que l'ours croise dans sa croisade à la recherche d'une vie meilleure. Certes nous commençons et terminons avec l'ours mais tout au long de la lecture, il n'intervient plus. Nous suivons le récit à travers, la voisine, le passeur, la corneille. Chaque personnage a une vision singulière de la situation de notre ours, certains sont prêts à se jeter corps et âme afin de l'aider et de réduire à néant les injustices dont il est victime, lui et mais également tous les autres animaux étant dans la même situation. D'autres n'hésitent pas à user de la délation, à être crédules et à se laisser influencer par les politiques.
Par ailleurs, le fait les personnages soient des animaux, l'absence de précisions contextuelles et géographiques laissent libre court à notre imagination et font de cette histoire une histoire universelle pouvant s'appliquer partout. Seules les citations de personnages de la vie politique française donnent une possible indication, mais encore une fois, les citations dûment choisies peuvent s'appliquer universellement, malheureusement.
Outre le procédé de l'anthropomorphisme, les couleurs, la disposition de planches rendent la lecture saisissante et permettent aux lecteurs de s'imaginer l'ambiance, l'état d'esprit dans lequel se trouve notre ours. Le rouge est utilisé à profusion, rendant compte ainsi de la peur de notre protagoniste, mais également de la bêtise des autres à son égard. Plus les couleurs deviennent claires, plus notre ours retrouve un léger espoir. Toutefois, le récit se termine comme à ses débuts, l'ours reprend la parole, le rouge domine jusqu'à laisser place à une planche noire. Après des années de combats, notre ours est renvoyé dans son pays. Les quotas, vous comprenez.
Eu égard au contexte géopolitique dans certaines régions du monde, des centaines de milliers de personnes prennent des risques dans l'espoir, non pas de connaître une vie meilleure, mais plutôt de fuir une guerre qui n'en finit plus et qui est sans merci. Elles rencontrent des obstacles à chaque étape de leur exil. La plupart de ces personnes n'ont pas forcément imaginé qu'elles devaient, à un moment de leur vie, fuir, tout abandonner, échapper in extremis à la mort.
Jérôme Ruillier reste dans la lignée de son oeuvre précédente, Les Mohamed, dans laquelle il fait une compilation de témoignages d'immigrés algériens, notamment suite à la guerre d'Algérie. Ainsi, il dépeint sous trois points de vue, ceux des pères, des mères et des enfants, le raciste ambiant dont ils sont victimes et la quête d'identité dans un pays nouveau. Son travail a la faculté d'attirer un public nombreux et de tout âge, il marque par sa simplicité au discours poignant.
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