Le bal des folles, Victoria Mas

Mars 1885, La Salpêtrière, Paris.
L'excitation est à son comble, le bal de la mi-carême se tient dans quelques jours et les préparatifs vont bon train. Les dames choisissent leur tenue, défilent pour avoir la meilleure des entrées lors de la soirée très mondaine. Le bal de la mi-carême est attendu à la fois par le Tout-Paris mais surtout par les femmes occupant les tristement célèbres couloirs de la Salpêtrière. Les rires, les danses, la musique ne sont que des filtres... Les invités viennent moins pour danser que pour observer ces folles s'exhiber telles des bêtes de foire que le professeur Charcot présente fièrement. Mais à mieux y regarder, les plus fous ne sont pas ceux auxquels on pense...
Mais qui est ce professeur ? Que fait-il sur ces femmes ? Pourquoi ces femmes se trouvent-elles à la Salpêtrière ?
La maladie de Charcot a été découverte par Jean-Martin Charcot lorsqu'il était chef de service de médecine générale à la Salpêtrière. La sclérose latérale amyotrophique, une maladie dégénérative. Cette découverte le fait ensuite collaborer avec les grands noms de la science sur divers projets, notamment dans le domaine de la neurologie. Il retourne ensuite à ses premiers amours et à l'étude de l'hystérie. Pour ses recherches, il entend l'hystérie au sens de désordres mentaux, et utilise différentes techniques telles que l'hypnose ou encore l'hydrothérapie. Ces procédés sont utilisés sur les patientes de la Salpêtrière, dont la plus connue est Augustine. "Star" des "leçons du mardi", Augustine, en plus d'être photogénique, avait des crises, sous hypnose, rythmées, complètes, les spectateurs étaient percutés par l'ampleur des crises et par leur caractère érotique. Charcot qualifiait ses crises d'hystérie "d'exemple très régulier, très classique". Augustine est son "chef-d'oeuvre".
Durant le 19ème siècle, les femmes se comportant de manière peu ordinaire étaient presque automatiquement conduites à la Salpêtrière. Ainsi, les prostituées, les veuves exprimant trop leur douleur, certaines victimes de viols montrant des signes extérieurs de trouble se retrouvaient entre les murs de cet hôpital pour soigner leur désordre mental. Généralement, ce sont les membres de leur famille, plus particulièrement les hommes, qui conduisaient ces femmes à la Salpêtrière ; elles étaient ainsi cachées de la société, leur état était passé sous silence et l'honneur de la famille restait intact. Les déviants, les alliénés n'ont pas leur place dans les familles bourgeoises. En témoignent des cousines de la famille royale d'Angleterre. En effet, des cousines germaines de la reine Elizabeth II ont été internées dans un asile psychiatrique dans le sud de Londres et laissées pour mortes. Savoir que la famille royale avait des membres avec des troubles mentaux atteignait l'honneur et le prestige du nom. Occulter l'existence de ces membres permet d'éviter la remise en cause de la santé mentale de la famille royale et par conséquent leur place sur le trône.
Ainsi, nous suivons des femmes, toutes différentes l'une de l'autre, avec un passif unique, venant de milieux sociaux aussi divers que les personnalités contées. Ces femmes sont toutes victimes de la société patriarcale, qui ne laisse aucune place aux tourments de la vie et qui les enferme dès le premier signe de déviance. La discussion n'existe pas, l'internement est la règle.
Louise, une jeune femme, victime de viol par son oncle, succombe à des crises d'hystérie, crises dûes au silence imposé par le viol dont elle a été victime. A la Salpêtrière, Louise a l'espoir de devenir la nouvelle Augustine, le professeur Charcot la convoque pour les "leçons du mardi", l'hypnotise jusqu'à ce qu'il se loupe et la paralyse à moitié... Louise est dévastée, elle qui ne pensait qu'au bal, à la demande au mariage qui lui était destineé. Elle perd tout espoir, son fiancé lui joue des tours et la tue moralement. Louise a perdu le goût de la vie, son innocence qui la caractérisait.
Thérèse, la sage du groupe, est l'une des patientes les plus anciennes. Thérèse observe beaucoup, écoute, pense passer le reste de sa vie à la Salpêtrière. Elle s'y sent bien dans cet hôpital, elle est tranquille, les hommes ne l'embêtent pas, elle est respectée, notamment par l'infirmière Geneviève. Mais arrive le jour où on lui annonce que son état est redevenu normal, qu'elle peut sortir sans mettre en danger la société. Thérèse n'y croit pas, elle veut rester et est prête à tout...
Eugénie Cléry est une jeune fille issue de bonne famille, ses relations avec son père sont très tendues, son intelligence lui permet de comprendre avec discernement les injustices de la société envers les femmes et elle n'hésite pas à faire entendre son point de vue au grand dam de son père. La particularité d'Eugénie est qu'elle ressent et perçoit la présence d'êtres décédés. C'est ainsi qu'un jour Eugénie révèle à sa grand-mère, seule personne en qui elle peut avoir confiance, qu'elle voit son grand-père mort il y a plusieurs années de cela. Sa grand-mère, sous le choc, promet à Eugénie qu'elle ne dira rien. Les jours s'écoulent, Eugénie est sereine et accepte sans méfiance la proposition surprenante de son père d'aller se promener avec lui et son frère. Le père d'Eugénie a eu vent du don de sa fille, la balade se termine à la Salpêtrière. La rencontre avec l'infirmière en chef Geneviève va changer le cours de son histoire et le soutien de son frère, aussi surprenant soit-il, est primordial.
Geneviève travaille à la Salpêtrière depuis des années, elle se dévoue totalement à son travail, elle idolâtre Jean-Martin Charcot en espérant qu'un jour elle aurait la reconnaissance tant méritée. Geneviève a une soeur, Blandine, décédée alors qu'elle n'avait que seize ans ; elle la chérissait plus tout. Quand elle rentre du travail, Genevière essaie de lui écrire des lettres, qu'elle range ensuite dans une boîte. La dernière lettre en date, avant celle du 3 mars 1885, est du 20 février 1885. Pourquoi cette date à son importance ? Peut-être qu'elle n'en a pas mais elle m'a sauté aux yeux lors de ma lecture. Le 20 février est la date à partir de laquelle le lecteur rencontre la jeune Eugénie. Je ne pense pas que ce soit une coïncidence sachant que ces deux personnages ont leur destin lié et qu'elles ont besoin l'une de l'autre pour se sauver. En aidant Eugénie, Genevière est déclarée folle et est internée à la Salpêtrière en compagnie des femmes dont elle s'occupait avant. Elle ne s'est jamais aussi proche d'elles que maintenant, la liberté et la tranquillité d'esprit l'ont rendue normale.
Le bal des folles, Prix Renaudot des Lycéens, est une oeuvre fabuleuse, féministe à l'écriture percutante, ce prix est amplement mérité. La lecture est prenante, on ne peut que s'attacher à ces femmes, on a envie de se battre avec elles et pour elles. je recommande vivement ce roman empreint d'un réalisme certain. On ressent le temps passé à la recherche pour en faire ressortir les éléments fondamentaux de ces faits historiques.
La censure de la parole féminine dans cette société patriarcale n'a pas fini de faire parler d'elle. Aujourd'hui, le combat n'est pas fini, la place de la femme n'est toujours pas assurée, sa parole reste facilement remise en cause tandis que les hommes maintiennent toujours un certain pouvoir qui semble difficilement détrônable.
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